Grand Raid des Pyrénées : récit d’un ultra trail planant !

Grand Raid des Pyrénées : récit d’un ultra trail planant !

7 octobre 2021 16 Par Frédéric

Avertissement de l’auteur : ce récit de “mon” Grand Raid des Pyrénées est tel que j’ai vécu cet ultra trail. Il y a une part d’objectivité et de subjectivité ! Tout est vrai de mon point de vue donc et chacun y trouvera la part de vérité dont il aura envie 😉

Succession de lacs après le Col de Bastanet au début du Grand Raid des Pyrénées
Du rêve à la réalité et inversement sur le Grand Raid des Pyrénées. Crédit Photo : Frédéric Vasse

L’AIGLE ET L’ENFANT

Quelques cailloux roulent sur la pente du col du Lisey, s’entrechoquent et jouent des notes barbaresques. Un aigle noir s’envole dans un bruissement d’ailes et tourne dans le ciel encore sombre, insensible à l’agitation qui règne plus bas à quelques vallées. Ici, c’est lui qui règne.

Vieille Aure, village de départ des trails et ultra trails du Grand Raid des Pyrénées – Vendredi 20 août, 5h du matin.

L’esprit encore encombré des nuées d’une nuit trop courte, Fab et moi arrivons à Vieille Aure sur le site du départ. L’air est électrisé pas l’excitation des trailers. L’odeur des crèmes anti frottement et autres “chauffe muscle” envahissent nos narines. Il y a un peu de public, la famille et les amis coureurs. La sono crache sa musique entraînante et les commentateurs sont d’humeur potache au micro en évoquant les anecdotes des arrivées de la veille et de la nuit. Nous sommes étonnamment calmes. Si nous n’avions pas tout notre accoutrement de trailers et l’agitation ambiante, on pourrait presque croire que nous partons pour notre traditionnelle sortie du dimanche. Nous nous plaçons gentiment dans le sas de départ, en fond de peloton. Nous ne voulons pas nous laisser entraîner par un départ trop rapide. Fab a vu la tête des coureurs du 220 au 60ème km hier… ça l’a refroidi !

Le compte à rebours commence, nous nous donnons une chaleureuse accolade. Mes tripes sont un volcan et une éruption d’émotions me monte à la gorge, mélange d’excitation, de joie et de soulagement : nous prenons enfin le départ. Il est 5h pile. J’ai envie de pleurer et de crier, mais je concentre mon énergie, je vais en avoir besoin. J’y suis, je me sens prêt, même si mon expérience est faible. Je pars vers l’inconnu pour ce 1er ultra en montagne. Cette course du Grand Raid des Pyrénées, c’est 160 kilomètres (pour moi qui n’ai jamais fait plus de 100) et 10 000 mètres de dénivelé… Je me sens pourtant en confiance, je me suis préparé.

Les copains qui se sont entraînés avec moi me surnomment “la machine”… J’ai fini par y croire!

Départ du Grand Raid des Pyrénées – Une mer de nuage au dessus de Saint Lary Soulan, au niveau du Pla D’Adet – Crédit Photo : Frédéric Vasse

Nos jambes ont besoin de s’exprimer et nous remontons petit à petit le peloton tout en blaguant. Les discussions vont bon train et nous commençons déjà à monter tranquillement : c’est parti pour 2000 mètres de grimpette en 21 km jusqu’au Col de Bastanet… Passé Vignec, le silence s’invite rapidement  dans la colonne de loupiotes : la pente se durcit pour aller au Pla d’Adet. Les bâtons de marche sont de sortie et jouent leur musique rythmée sur nos pas.  Un peu plus d’une heure plus tard, les premières lueurs de l’aube tracent les silhouettes des montagnes et révèlent une mer de nuage sous nos pieds. Nous grimpons toujours. Le col de Portet n’est plus très loin.

Col de Portet, 14,3 km / 1503 D+,

Nous avons pris de l’avance sur le temps de passage calculé par Fab, mais peu m’importe. J’avance à mon rythme et je me sens bien. Quelques petites descentes et faux-plats nous permettent de courir. C’est agréable. Je pourrais aisément accélérer, mais je préfère assurer. On verra bien si je peux me lâcher plus tard sur le parcours : demain ? Après demain ? Nous avons fait une prévision de 42 heures, en se disant que c’était sans doute optimiste. En réalité,  nous ne savons pas vraiment, nous manquons d’expérience.

Combien de temps faut-t-il pour faire cet ultra trail ?

Depuis des mois on me pose cette question du temps. J’ai toujours répondu que j’espérai surtout aller au bout… tout en étant en bonne santé!

A cet instant, je me rappelle qu’il m’avait fallu 3 semaines en janvier pour cliquer sur le bouton “je m’inscris” tant ce défi me paraissait inaccessible. Et encore plusieurs mois de préparation pour simplement à me visualiser franchir la ligne d’arrivée. Le déclic aura eu lieu sur les montages d’Auvergne lors d’un “week-end choc” avec Hervé et Yann sur les traces de l’UTPMA, un ultra annulé que nous avons fait en ” off”. Depuis, je reste humble et continue de répondre “passer la ligne d’arrivée sera déjà bien”, mais j’ai emmagasiné suffisamment de confiance pour avoir la conviction au fond de moi, dans mes tripes, que je vais le faire. J’ai commencé aussi à visualiser l’enchaînement de montées infernales, des descentes traumatisantes, la fatigue, la douleur, le manque de sommeil…

Allais-je pouvoir agir sur mes processus mentaux, supporter tout cela, prendre du plaisir malgré tout et avoir envie de continuer ? J’étais là pour le savoir et j’éprouvais une joie profonde !

Lire l’article : “Trail running : préparez vos défis ! Spécial préparation mentale”

Pendant que ces pensées et émotions m’occupaient l’esprit, le jour s’était installé et la chaleur commençait a se faire ressentir. Désormais loin des pistes de ski, nous parcourions des chemins escarpés et caillouteux, dans une montagne plus sauvage.  Nous croisions les premiers randonneurs dans un refuge près du Lac de Bastan. Je commençais à ressentir une forme de plénitude, une présence contemplative et heureuse. Se sentir au bon endroit, au bon moment, à sa juste place, ce n’est pas si fréquent. Dans ces conditions, le temps n’a plus vraiment d’importance et les kilomètres défilent sans qu’on s’en aperçoive.

Fab et Moi après le passage du Col de Bastan à l'occasion du Grand Raid des Pyrennées
Grand Raid des Pyrénées : le plaisir partagé d’un début de course avec un ami ! Crédit photo : http://www.photossports.com/
Col de Bastanet, 21,6km, 1944 D+, 8h46

C’est après le Col de Bastanet, à environ 20 km que nous sommes rappelés à la réalité dans une descente. Fab glisse et tombe sur une grosse pierre. il n’a pas de blessure apparente, mais son genou a vrillé et il a mal. Dès lors, je le sens nerveux et peu confiant dans ses appuis. Nous ralentissons un peu et je reviens sur terre : sur ces parcours accidentés, l’inattention pourrait coûter cher, surtout pour moi qui suis capable de me faire des entorses sur du plat bitumé.  Au bout d’un moment, Fab me dit de partir devant. Nous avons envie de partager cette course, mais nous nous sommes dit que sur une telle distance, chacun devait suivre son rythme. Je refuse néanmoins, je sais qu’il va se ressaisir et reprendre sa course normalement.

Parcours accidenté et vue magnifique sur le Grand Raid des Pyrénées – Crédit photo : Frédéric Vasse
La Mongie, 30,5 km, 2314 D+, 11h04

La chaleur commence déjà à marquer les corps et les esprit. Nous arrivons ainsi face à une prairie, ou plus exactement un mur vert, en plein cagnard. Une sacrée montée qui nous fera ensuite basculer vers La Mongie et son premier gros ravitaillement. Pour la première fois depuis le départ, l’effort me coûte. La chaleur nous accable et je crains de manquer d’eau. Les organisateurs ont heureusement ajouté un point d’eau supplémentaire au sommet. J’ai pris un peu d’avance, Fab m’y retrouve et nous repartons ensemble dans une descente cassante jusqu’au ravito. 30 km sont passés et mes jambes mesurent concrètement l’ampleur du défi en cours et surtout à venir : nous voyons au loin le Pic du Midi et ses 2876m d’altitudes.

Nous reprenons notre progression en fil indienne et accompagnons quelques temps 2 frangines qui avancent sans bâtons. Nous avons du mal à les suivre dans les montées, mais les devançons dans les descentes. Elles feront toute la course ainsi et finiront ensemble. Nous suons à grosses gouttes. A ce moment là, la chaleur a déjà provoqué une vingtaine d’abandons : insolations, troubles gastriques, problèmes d’hydratation et d’alimentation… Nous passons le Col de Sencours et grimpons vers le Pic du Midi avec les randonneurs. Les plus rapides de notre course redescendent déjà “pleine balle” ! J’ai retrouvé le Fab que je connais. Il avance d’un pas déterminé et puissant. Il encourage les concurrents que nous dépassons, ceux qui descendent, les bénévoles et même les randonneurs.

Pic du Midi, 39,8km, 3539 D+, 13h52

Je suis mort de rire, mais cette fois, c’est moi qui suis en retrait. Je gère mon effort et commence déjà à préparer mentalement la descente. Arrivé au Pic, malgré le panorama magnifique sur les Pyrénées, j’en profite pour m’étirer : mes mollets, mes ischios, mes lombaires et mes cervicales sont tendus. Cela va m’aider à suivre Fab qui s’élance avec entrain dans la descente.

Le Pic du Midi : premier point d’orgue du Grand Raid des Pyrénées

Un quart de la course est faite, nous descendons à un bon rythme sous un soleil de plomb. Il est déjà 14h. Un feu d’artifice éclate en moi quand je vois ma femme et mes enfants me faire signe au loin au Col de Sencours. J’ai envie de les prendre dans mes bras, mais cela fait plus de 10 heures que nous sommes partis et je préfère leur épargner cela… Flora est contente de me voir, elle me raconte ses aventures du matin. Mes gars m’encouragent mais je les trouve un peu distants. La route a été longue pour venir ici pour eux aussi. Ma femme s’assure que je vais bien. A tort ou à raison, je ne peux pas m’empêcher de sentir une inquiétude chez elle de me voir me lancer dans une telle aventure.

Col de Sencours, 43,4km, 3539 D+, 14h23

Ce “ravito familial” me fait pousser des ailes !

J’en profite pleinement, mais je reste extrêmement concentré sur ma course. Je repars assez rapidement vers l’autre ravito. Pendant ce temps, ils me feront la surprise de prendre de l’avance pour me retrouver quelques centaines de mètres plus loin sur le parcours. Je ne les verrai sans doute pas avant demain soir et la ligne d’arrivée. Mais mes ailes sont déployées.

Nous courons en accordéon avec Fab, mais nous nous gardons à vue l’un l’autre pour l’instant. La descente bien gérée,  le ravito, l’amour familial ont reboosté mon corps et mon esprit. Je retrouve cet état de grâce et ce “flow” ressenti quelques heures plus tôt. Je trouve même la chaleur plaisante. C’est parce que je plane comme un oiseau au dessus des chemins, je survole les lacs d’Oncet, d’Aouda et m’élève avec légèreté sur les cols de la Bonida et d’Aoube.

Grand Raid des Pyrénées un peu avant la Cabane de Bareilles et le lac d’Ourrec. Crédit Photo : Frédéric Vasse

Je reprends un à un des coureurs, discute et blague avec eux. Je n’y ai pas spécialement prêter attention mais une sélection s’est déjà faite. Les profils de nos partenaires de courses sont plus affutés, les attitudes et l’état des corps sont plus homogènes. Même si la fatigue et les premiers bobos sont là, on sent qu’ils sont aguerris à l’ultra endurance. Je découvre aussi que nous ne sommes pas beaucoup à venir de la plaine… 

Nous traversons des environnements magiques après le Col de Bareilles, des ruisseaux serpentent dans une vallée verdoyante.

Le soleil de fin d’après midi diffuse une lumière chaleureuse. On dirait un décor de film où quelques aventuriers seraient en quête d’un graal qu’eux seuls connaissent. Le graal se fait vite désirer à mesure que les flasques se vident : l’eau ! La section s’allonge et la chaleur aidant, les coureurs commencent à en manquer. Alors lorsque nous arrivons au lac d’Ourrec où un couple de bénévole a été positionné pour un point d’eau supplémentaire, certains perdent vite leur calme en découvrant qu’elle est rationnée ! Auraient-ils oublié que nous sommes censés être en semi-autonomie ?

Arrivée au Lac d’Ourrec et son point d’eau… rationnée ! Crédit photo : Frédéric Vasse
Col de Bareille, 53,6km, 4049 D+, 16h45

J’ai plutôt bien géré mes réserves et j’avance ainsi jusqu’à Hautacam que j’atteins avec soulagement. J’en profite pour bien m’hydrater, m’alimenter, m’asseoir et faire quelques étirements. Au moment où je m’apprête à partir, Fab arrive : il n’a pas l’air en grande forme, mais je le sais vaillant malgré tout. J’essaye de lui exprimer, avant de repartir. Rendez-vous en bas. Un bénévole m’invite à la vigilance : cette descente de 13km juqu’à Pierrefitte est plutôt roulante mais vu les 62 km que nous avons déjà parcourus, mieux vaut ne pas trop se laisser aller. Je rigole avec lui et repars de plus belle, tout en discutant avec d’autres coureurs.

Hautacam, 62,8km, 4249D+, 18h32

Le ciel s’assombrit tout à coup, une nuée d’aigles noirs volent au dessus de nous, mais je n’y prête que peu d’attention. Je me retrouve avec un coureur bordelais et nous discutons comme si nous nous connaissions depuis toujours. Il prévoit de finir en 37h, beaucoup plus vite que moi, mais qu’à cela ne tienne. Je commence à descendre avec lui à bon rythme, je suis épaté d’avoir encore tant d’énergie à l’approche de la mi-course. Ce n’est pas très raisonnable d’aller à cette allure, mais  tellement agréable de dérouler !

A la moitié d’un ultra trail… La course commence vraiment !

Lire l’article : “Les 5 sources de motivation d’ultra trailers expérimentés”

Lorsque nous arrivons à Pierrefitte, je sens que j’ai trop forcé, mes talons me brûlent, j’ai des ampoules et mes cervicales sont complétement bloquées. Il y a beaucoup de monde au ravitaillement, dont des podologues et des kinés. C’est ce qu’il me faut. Je me prends une douche glacée et me change, cela me fait un bien fou. Les bénévoles sont adorables mais désorganisés. Il y a la queue pour se faire soigner, je perds patience comme un sale gosse capricieux… Avec de la crème pour les pieds, je me masse vigoureusement les cervicales tout seul.

Pierrefitte, 75,6km, 4304D+, 21h02

A cette étape, une soixantaine de coureurs supplémentaires décident d’abandonner : cela en fait près de 180 depuis le départ… Beaucoup se font soigner et masser longuement. La nuit approche. Je n’ai pas envie de trop traîner là. J’ai des ampoules de 3 à 5 cm sous la corne de mes talons, mais je décide malgré tout de repartir sans me faire soigner.  Fab arrive et son état n’est pas beaucoup mieux que tout à l’heure, je le sens de plus en plus tendu. J’essaye de trouver les mots, mais je suis sans doute plus maladroit qu’autre chose et, sans trop savoir pourquoi, j’ai le feu aux fesses. Il me faut partir vite d’ici.

Je me retrouve dans la forêt, à monter, seul. La nuit tombe sur mes épaules. Jusque là, c’était un trail formidable, mais finalement comme les autres. L’ultra commence maintenant.  Il fait chaud, mais un frisson me parcourt l’échine. c’est une peur jubilatoire qui me traverse. Je ris par saccade à l’intérieur et je suis excité. Il ne faut pas que je reste isolé, le chemin longe une pente abrupte et la nuit va être longue. Je rattrape progressivement des coureurs et des groupes, mais soit ils n’avancent pas assez vite à mon goût, soit je ne les sens pas : trop fatigués ou le mental en berne. Je continue donc à courir seul dans la nuit jusqu’à ce que j’entende une voix connue arriver derrière moi.

-Tiens ! Voilà le Bordelais !

-Salut le Nantais !

Je suis vraiment content de le retrouver, c’est le type de compagnon de course qu’il me faut. Lui aussi a attrapé des ampoules dans notre descente mais il a eu l’intelligence de prendre 20 minutes de plus pour se faire soigner. Nous reprenons nos discussions et nos blagues là où nous les avions laissé et avançons ainsi quelques heures ensemble. Je prends même les commandes pour donner le rythme jusqu’à ce qu’ils finissent avec son ami à me distancier. Je me retrouve à nouveau tout seul, dans le dur, la fatigue musculaire et mentale commençant  sérieusement à m’affecter. Mais je suis dans ma bulle, j’avance en me répétant à chaque pas “j’ai… (un pas)… con… (2ème pas)… fiance… (3ème pas)”. 10 fois, 100 fois, 1000 fois. Cela me gargarise par moment et m’aide à avancer coûte que coûte. Et pendant ce temps là, je ne pense pas à la fatigue.

Une nuit de trail étrange et des ivresses inespérées…

Quand j’arrive à la cabane de Conques vers minuit, ma lucidité est à l’image de la lumière blafarde des néons du barnum. Le ronflement du groupe électrogène et les bénévoles à cheval sur les règles sanitaires me tapent sur le système. Je réussis tout juste à avaler une soupe. Je ne sais pas trop si j’ai froid ou chaud. Dans le doute, je mets une veste et la capuche sur ma tête. Je m’assieds par terre, je pourrais m’endormir là. ça sent pas bon. Je me suis vautré à côté d’une bouse piétinée.

Cabane de Conques, 88,4km, 5599D+, samedi 21 août, 00h16

Un coureur assis sur un banc me parle, son “collègue” est en train de roupiller à côté et il en a marre d’attendre. On dirait un zombie. Cette ambiance me pèse, je rassemble mes forces et repars. Heureusement il ne reste que 2 ou 300 mètres de D+ à parcourir pour prendre la descente qui m’emmènera vers Cauterets. Je la fais tambours battant, là encore à ma grande surprise, et cela me grise de plaisir.

Je découvre des formes d’ivresses inespérées ! 

J’ai perdu pas mal de temps dans la montée précédente. A tout moment, je m’attends donc à ce que mon grand gaillard de Fab arrive derrière moi, me tape sur l’épaule et me dise “alors la machine ? ça gaze ?”. C’est ce qu’il fera à sa manière vers 2h00 du matin alors que j’arrive à Cauterets. Profitant du plat des chemins en bord de route pour me changer les idées, j’allume mon téléphone portable pour lire les messages d’encouragements que je reçois depuis le départ, ça me booste dans les moments creux. Je découvre un SMS de Fab : “j’ai abandonné, plus d’énergie, très fatigué et plus lucide. Bon courage! Ne lâche rien ! Je suis avec toi!”…

Ma gorge se noue, mes lèvres se serrent, je m’arrête. Je suis navré pour lui, mais dois me résoudre à finir seul. Je respire un grand coup, résigné : c’est mon devoir de finir cet ultra trail pour lui aussi à défaut de le finir avec lui. Cela me redonne un peu de lucidité : il va falloir me faire soigner les pieds et essayer de dormir un peu pour y arriver.

Cauterets, 98,8km, 5846D+, Samedi à 2h23 du matin

Peine perdue. La seul infirmière présente est occupée et mon impatience toujours aussi impétueuse. Le ravito est installé dans un restaurant de Cauterets. Le sol est dur malgré la moquette et les discussions des autres coureurs et bénévoles m’empêchent de trouver le sommeil.  Je préfère dormir à la belle étoile s’il le faut, plutôt que sous une table. Je pars à nouveau retrouver l’apaisement dans la solitude et les montagnes. Un frisson me parcoure à nouveau l’échine, mais là je ne rigole plus.


Je dépasse des coureurs, me fait dépasser. Depuis plusieurs heures j’en croise certains qui sont assis sur le bord du chemin, hagards, comme perdus. D’autres sont allongés, semblant dormir. A chaque fois le même rituel : “ça va ? Pas de blessures ? T’as à manger et à boire? … Ok?…  à plus alors” Cette montée est interminable. Des notes de piano s’égrènent dans la nuit de mon esprit. Les mots d’une chanson de Barbara résonnent de loin en loin.


Un beau jour… une nuit… près d’un lac.. endormi… crever le ciel… de nulle part

L’AIGLE NOIR – BARBARA
Quelques uns des nombreux lacs croisés sur le parcours du Grand Raid des Pyrénées
Un beau jour ou peut-être une nuit, près d’un lac… du Grand Raid des Pyrénées . Crédit photo : Frédéric Vasse

Je sens ma force vaciller, le volcan s’éteindre. Au loin, au dessus de moi, loin, très loin je vois des étoiles ? des loupiotes qui scintillent? Des lumières inatteignables qui avancent. Je me bats et continue ma marche funèbre. La fatigue, la lassitude, la douleur aux cervicales, au dos, mes jambes qui ne veulent plus se lever, mes bras qui tombent, les bâtons qui pèsent… Le sommeil m’assomme au bord du chemin, mais je ne veux rien lâcher.  Le doute s’installe : aura-t-il raison de moi ? Cette fois, j’entends carrément l’aigle noir tournoyer au dessus de moi.


Venu du passé… comme tombé du ciel… L’oiseau vint se poser.

L’AIGLE NOIR – BARBARA

Celui-ci n’a pas de couronne ou de diamant bleu comme dans la chanson.  Son regard froid me fixe. Pour lui je ne suis rien, si ce n’est de la chair en mouvement. Il s’approche, il ne me craint pas, ne me respecte pas, il est indifférent à ma douleur et à ma fatigue. Il va enfoncer son bec dans la chair de mon visage, la déchiqueter en lambeau. Mon sang se glace, je tremble et je n’arrive pas à bouger.

Mais non, je refuse,  il est ma douleur, il est ma souffrance, il doit partir, aller plus loin, je ne le subirai pas. Alors je sens toute la colère d’un enfant monter en moi. Il se met à gueuler après l’oiseau. C’est sa fureur de vivre que j’entends, sa rébellion, son besoin d’exister. Dans un bruissement d’aile, l’aigle noir s’envole, je ne le vois plus, mais je l’entends encore planer au dessus de moi. Alors je gueule encore, je gueule mon refus d’abandonner, ma rage de continuer. J’hurle mes rêves d’enfants, mes rêves d’aventure et de liberté.

Puis je me réveille, le visage griffé par l’arbuste sur lequel je m’étais endormi, le corps tremblant et trempé par l’humidité de l’herbe. Je ne sais pas très bien combien de temps j’ai dormi. Une vingtaine de frontales étaient sous moi, il n’y en a plus que quelques-unes. Avant de reprendre ma marche cotonneuse dans la nuit moite, je lève la tête et voit les étoiles innombrables dans le ciel. Je suis dans un nuage blanc et un enfant fredonne une chanson.


Cueillir les étoiles … allumer le soleil … être faiseur de pluie… Prêt à faire des merveilles…

L’aigle Noir – Barbara


Un sentiment indescriptible de liberté m’envahit. Oui c’est dur. Mais j’ai décidé d’être là et je me suis donné les moyens d’y être. C’est une chance inestimable de pouvoir se lancer un tel défi, de traverser ces paysages grandioses, de vivre cette aventure. Ces moments difficiles sont peu de chose finalement. Je titube, mais j’ai confiance, un pas devant l’autre, puis encore un, un autre et encore. C’est ainsi qu’on avance dans la vie et vers les plus hauts sommets : en mettant un pied devant l’autre. J’ai réussi à accepter les douleurs, elles planent là haut, mais le sommeil m’assaille de nouveau et je m’allonge sur le côté. J’ai envie de me laisser aller, mais l’enfant refuse, me secoue et je l’écoute à raison : cinq minutes plus tard je passe le sommet !

Aulian,108km, 6996D+, samedi à 6h22

Je rattrape un autre coureur titubant et en aussi bon état que moi… Nous sommes amusés tous les deux par ce constat et cela suffit amplement à nous mettre du baume au cœur. Nous rions de notre folie et descendons ensemble sur une piste de ski, glissant sur les cailloux dans la pente. La station d’Aulian et son ravitaillement sont perceptibles au loin. Dans le halo de nos frontales, deux lueurs apparaissent. Un renard au regard perplexe nous fixe, puis, incrédule, reprends son chemin. Cette dernière apparition vient clore cette nuit étrange.

2ème jour d’ultra trail : courir un Grand Raid des Pyrénées cela se mérite !

J’attaque les 9 km de descente vers Luz Saint Sauveur avec les lueurs de l’aube. Mes jambes se remettent en route, ça ferraille dur, mais j’arrive encore à courir. Le feu s’est rallumé, le volcan tremble à nouveau et cette force intérieure me galvanise.

Luz Saint Sauveur, 116,4km, 7033 D+, Samedi à 8h46

J’arrive aux 116ème km du ravito un peu avant 9h du matin, mais j’ai maintenant la certitude que j’irai au bout. Je me vois par moment passer la ligne d’arrivée, je sers le poing et l’émotion est telle que je suis obligé de respirer profondément pour me calmer. Il reste encore l’équivalent d’un gros marathon à faire avec 3000 mètres de dénivelés quand même. Mais c’est plus fort que moi, l’enfant est là et il est irrésistible, je vais le laisser prendre les commandes de cette fin de course. Aujourd’hui, nous sommes invincibles.

Grand Raid des Pyrénées
Direction le Col de la Hourquette, vers la fin de cet ultra trail magnifique. Crédit photo : Frédéric Vasse.

Les rencontres de cette 2ème journée seront déterminantes pour cette fin de parcours. Julien qui m’encourage et m’aide à Luz Saint Sauveur.

Tournaboup, 134,8km, 7969 D+, 13h38

Ma famille à Tournaboup et leurs regards confiants lèveront mes dernières appréhensions face à la chaleur et à la montée qui m’emmèneront vers la Cabane D’Aygues Cluses.

Cabane D’Aygues Cluses, 141,4km, 8665 D+, 15h34

Yann, Lucie et Lyne me donneront par leurs paroles chaleureuses ce supplément d’énergie qui m’aidera à atteindre “rapidement” le Col de La Hourquette.

Hourquette Nère, 143,4 km, 8974 D+, 16h37

Enfin mon Fab qui vient au devant de moi jusqu’au restaurant de Merlans pour faire la dernière montée jusqu’au Col de Portet ! On réussira à finir ensemble finalement !

Restaurant de Merlans, 151,2 km, 8974 D+, 18h45

J’ai écho aussi des encouragements des membres du club SNLS44, Fab me répète que c’est “énorme” ce que je fais. Je ne sais pas, mais je pense à ceux avec qui je me suis entraîné, à ceux qui ont relevé ce genre de défi ou qui aimeraient le faire. Je pense à ma famille qui m’a vu si souvent partir m’entraîner. Tout cela n’aura pas été vain. Je suis content aussi pour eux et surtout reconnaissant.

Alors que je me remets à courir sur la pointe des pieds dans l’ultime descente, mes talons sont devenus trop douloureux, je suis malgré tout envahi de satisfaction et de fierté. J’en oublierai presque mes ampoules et mes quadriceps qui vont explosés dans ces 13 derniers km de descente ! Bien que chutant par 2 fois,  je fonce vers la ligne d’arrivée. Ce n’est pas le plus important, mais je sais que je peux finir en moins de 40 heures. Le public se fait de plus en plus nombreux, venant nourrir les milliers de “bravo”, “allez”, “bon courage” reçus tout au long du parcours. Avant d’entrer dans le village de Vieille Aure, je pleure en courant, j’essuie mes larmes et j’accélère encore. J’espère que ma femme et mes enfants seront à l’arrivée car je suis descendu plus vite que prévu.

Lorsque je sors du chemin qui longe la rivière de l’Aure, je tombe nez à nez avec eux ! Un sentiment d’accomplissement m’envahit à nouveau par vagues de plus en plus puissantes. Je lève et sers le poing de toute mes forces en souriant. Je suis tellement heureux d’être arrivé et de les retrouver ! Mais ma femme m’indique que la vraie ligne d’arrivée est quelques centaines de mètres plus loin. Nous repartons tous les 5 en courant au milieu des applaudissements, Charlélie et Louka à côté de moi, Flora et Béné derrière moi me filmant.

Arrivée à Vieille Aure, 164,9km, 9308 D+, Le samedi 21 août à 20h53. Après 39h53 de course…

Je suis le plus riche des hommes et c’est l’un des plus beaux moments de ma vie.  C’est comme ça que j’avais rêvé et visualisé  finir cet ultra trail depuis plusieurs mois. La réalité est encore plus belle et balaye toutes les difficultés que j’ai pu rencontrer sur le chemin. Je savoure chaque seconde de cet instant de grâce. Cela dure peu de temps, mais je sais que ce sera gravé ad vitam aeternam dans ma mémoire.


Des amies rencontrées pendant les vacances s’étonnent de me voir si “frais” à l’arrivée. L’une d’elle m’observe avec attention et interrogation. Louka m’expliquera une heure plus tard, qu’elle ne comprenait pas pourquoi je m’étais lancé dans une telle aventure. Peut-être que lui aussi se pose cette question. Je me retourne dans la voiture, pour le regarder.

Arrivée du Grand Raid des Pyrénées avec un sentiment d’accomplissement de l’enfant et de l’adulte. Crédit photo :  “www.photossports.com

-Il n’y a pas si longtemps, j’étais au fond du ravin tu sais… Eh bien, je viens de confirmer que j’avais remonté la pente. J’ai surtout prouvé, mon fils, mes enfants, que nous pouvons gravir des montagnes si nous le voulons et le rêvons suffisamment fort.

Je dois avoir l’air sentencieux du vieux con de 44 ans que je suis en disant cela… J’entends alors dans mon for intérieur la voix d’un autre enfant, celui qui sait vraiment pourquoi je fais cela. Il ajoute d’un air amusé et provocateur : nous pouvons vraiment gravir toutes les montagnes que nous voulons ?

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